Ce sont donc maintenant des dizaines de bout qu'il faut lover aux cabillots et ce, dans un ordre parfaitement établi et avec une technique bien définie. "L'ordre doit être respecté au cas où nous devrions manœuvrer de nuit ou dans l'urgence, de même, la façon de lover les bouts importe tout autant, elle évite les nœuds".

Le Belem est maintenant sous voile. Le temps s'écoule, il ne passe ni trop vite ni trop lentement. En réalité, personne ne sait plus très bien quelle est la date du jour, ni même l'heure.

La "promenade" est périlleuse

Chacun commence à prendre ses habitudes, les femmes ne se maquillent plus, les hommes ont enlevé leur montre, leur gourmette, vérifient avant chaque manœuvre que leurs lacets sont bien noués et que leurs poches de pantalon sont vides. Les apprentis gabiers ont tous adapté leur tenue. Le rythme à bord s'effectue en fonction des quarts. Ainsi soit-il. Pour assurer la continuité du service à la mer, l'équipage dont les stagiaires font partie, est divisé en trois tiers qui prennent successivement le quart, se repose et

déjeunent. Le commandant en second a donc réparti et défini les groupes. Chaque demi-journée est divisée en trois parties de O h à 4 h, de 4 h à 8 h et de 8 à 12 h. L'après-midi reprend le même découpage. Les tiers alternent, ainsi "goûtent-ils" à toutes les opérations.

A commencer par le rôle des plats, de la vaisselle et de la propreté. Les hommes comme les femmes du même tiers dressent la table. Pour les uns, c'est nouveau. Pour les autres, plutôt amusant. Pour tous l'exercice est diffèrent. Le petit déjeuner, le déjeuner et le dîner sont pris dans la batterie située dans le faux-pont sur une grande table de 36 places tout en bois massif et solidement fixée au sol. Les unes et les autres montent et descendent les assiettes, les couverts, les verres en plastique... et les plats. La "promenade" est plus périlleuse qu'il n'y parait. Les personnes de service doivent en effet passer par un petit escalier étroit aux 18 marches "assez. raides. "Il arrive que certains le descendent sur les fesses... mais par miracle les plats arrivent toujours complets, c'est le plus important". Car l'effort creuse l'appétit, les stagiaires sont affamés. Heureusement, le chef cuisinier prévoit en conséquence. Le menu comprend une entrée, un plat principal, du fromage et un dessert, pas de vin ni d'alcool. De quoi prendre des forces, récupérer ou pour certains, limiter le mal de mer. Les plats sont préparés dans une cuisine aux dimensions réduites installée sur le pont, à côté du grand roof. "En cuisine, tout est une question d'organisation, explique le chef, c'est vrai qu'elle est plutôt petite mais ce n'est pas gênant, il y a moins à nettoyer" poursuit-il, philosophe. Seul le commandant du Belem et ses adjoints font "bande à part", ils prennent leurs repas dans le petit roof.

Ainsi, pendant que le premier tiers déjeune, que le deuxième sert avant de se reposer pour une sieste salvatrice, le troisième tiers reste sur le pont. Le Belem navigue, il a toujours besoin d'un équipage pour effectuer les manœuvres.

Sur le gaillard d'avant, quelques stagiaires veillent. Ils scrutent l'horizon à la recherche du moindre danger. "C'est important de vérifier que rien ne puisse entraver la navigation du bateau". Au moindre coup d'œil, ils découvrent une

bouée de pêcheur au loin, un bateau de plaisancier ou un chalutier. Immédiatement, les informations sont transmises, en marchant, à la timonerie de l'autre côté du bateau. C'est la barre qui plaît le plus aux stagiaires. "Pensez donc, explique l'un d'entre eux, être aux commandes du Belem, n'est pas donné à tout le monde". Chacun à tour de rôle en tire une relative fierté. Mais même à la barre, le stagiaire n'est pas le "seul maître à bord après Dieu". Là encore il faut apprendre c'est à dire commencer par obéir. Peu importe, le plaisir est immense, les sensations aussi car le cap n'est pas facile à tenir, il faut se battre contre les à-coups de la déferlante qui provoquent des tangages L'ordre du commandant est pourtant clair, le cap qui est fixé doit être maintenu. C'est donc à un véritable tour de force que se livre le stagiaire. Dans ces mains, la barre, chacune de ses poignées correspond à un degré. Face à lui une boussole dotée de deux masses métalliques importantes et devant lui, un autre cadran qui indique la position exacte du gouvernail. Le stagiaire doit jouer avec l'un et l'autre pour respecter les ordres. Pour s'y conformer, il préfère ne pas la forcer mais attendre qu'elle donne du mou. Toutes les parties du bateau sont accessibles même Si certaines sont gardées par le secret. Ainsi, les appartements des officiers et des gabiers sont privés comme la salle des machines et les ateliers d'entretien. Il est impossible également de lire le cahier de bord, c'est confidentiel. Chacun tient son rôle, garde sa place et applique les consignes, c'est ainsi que le bateau arrive à bon port.

Alors, à quel moment se repose-t-on sur le Belem ? A quel instant apprécie-t-on le paysage ? A chaque instant, à chaque manœuvre affirment les stagiaires. "Le Belem est un outil en parfait état, explique l'un d'eux, même quand on frotte les cuivres, on le fait bien volontiers".



Pascal DE PEYRELONGUE (Automne 1998)

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